Après avoir amorcé notre feuilleton consacré au 40e anniversaire de la Coupe Rogers à Montréal en retraçant l’évolution du jeu depuis 1980, place aux mutations de la mode observées sur les courts, sur cette même période.
Comment dissocier le sport de son environnement, de son décorum ? Les images qui nous traversent l’esprit à l’évocation de souvenirs tennistiques figurent ici des échanges, là des célébrations, parfois un trophée, un coup de sang, une ambiance ou une rivalité… Mais le dénominateur commun à ces réminiscences, ce sont aussi le plus souvent des tenues, une paire de chaussures, des coupes de cheveux, de celles que l’on finit par s’arracher ou imiter.
Il suffit d’écouter le légendaire Stan Smith, numéro 1 mondial au début des années 1970 et double vainqueur en Grand Chelem, pour s’en convaincre : « Beaucoup de gens pensent que je suis une chaussure. Ils ne savent même pas que j’étais un joueur de tennis. La chaussure a vraiment pris une vie propre, bien au-delà de moi. ». Son compère roumain Ilie Nastase pourrait sûrement en dire autant.
Si l’on invite les contemporains de Navratilova, Borg, McEnroe, Evert ou Gerulaitis, à piocher dans leur mémoire quelques instantanés des années 80, ils nous offriront assurément des photos de jupes, shorts courts, bandeaux, permanentes, carrés frangés et autres brushing soufflés. À l’époque, les tenues commencent à se faire plus légères avec l’arrivée progressive de nouveaux textiles plus confortables et le souci de dessiner des coupes sur mesure, pour satisfaire à une double exigence esthétique et de performance.
L’entrée dans l’ère moderne et l’intérêt grandissant des médias pour le tennis attire sans surprise davantage d’équipementiers, lesquels s’arrachent les joueuses et joueurs phares de l’époque, et redoublent d’imagination pour proposer chaque saison des lignes renouvelées.
La tendance demeure au blanc dominant, mais certains athlètes commencent à s’en affranchir, en dehors de Wimbledon, temple du tennis et dernier bastion de la tradition sur lequel le temps ne semble pas avoir d’empreinte. C’est pourtant là que la révolution couve. En 1985, l’Américaine Anne White (pourtant bien nommée) foule le gazon londonien vêtue d’une combinaison une pièce en élasthanne la couvrant du cou aux chevilles. Scandale, rappel à l’ordre, défilé sans lendemain (jusqu’à ce que Serena…).
Anne White wearing a PONY bodysuit and trainers with legwarmers. Wimbledon 1985 @ponyeurope @Wimbledon pic.twitter.com/UoJb6tySW0
— Cassandra Kirk-Gould (@KirkCassandra) April 22, 2014
Mais le ver de la subversion fait son trou. Quelques années plus tard, un autre Américain, André Agassi fait bouger les lignes à son tour en étrennant un short en jean sur le circuit. Le début d’une histoire d’amour entre le « Kid de Las Vegas » et le public qui s’arrache les tenues du joueur pendant la première moitié des années 90, oscillant selon un nuancier de couleurs allant du mauve au jaune fluo.
La fin de la décennie voit l’arrivée de vêtement et tissus dits « techniques » comme le polyester, permettant aux athlètes de mieux composer avec la transpiration. Les joueuses délaissent peu à peu les chemisiers pour des débardeurs, leurs jupes raccourcissent pour faciliter le mouvement. Les shorts des joueurs deviennent dans le même temps plus amples et plus longs, comme le reflet d’une époque où la mode dans le sport suit celle de la rue, largement inspirée par la culture hip-hop et ses ambassadeurs basketteurs (la NBA devenant le laboratoire de nouvelles excentricités vestimentaires et capillaires).
Au carrefour du troisième millénaire, les nouvelles icônes de la mode sont plutôt à chercher côté féminin. L’avènement simultané des sœurs Williams et d’Anna Kournikova préfigure une décennie placée sous le signe de l’expérimentation et de la provocation. On ose tour à tour les microjupes, le nylon, les tresses ornées de perles, les chandails courts, tant et si bien que les joueuses cannibalisent désormais les plus gros contrats publicitaires dans le monde du sport, tendance que prolongera Maria Sharapova (avec notamment sa fameuse tenue similicostume).
Dans les rangs masculins, le circuit se cherche de nouveaux patrons pour y puiser l’inspiration. Andy Roddick (sous les traits d’un joueur de baseball) tient la corde un instant avant que les ouragans Federer et Nadal ne viennent mettre tout le monde d’accord. La planète tennis se polarise : polo, coupes élégantes et sobriété d’un côté ; tenues bariolées, pantacourts et débardeurs de l’autre, le bandana en trait d’union.
Certes Rafa raccourcit peu à peu le bas pour allonger le haut. Bien sûr Roger s’est décidé à changer d’équipementier. Ils n’en demeurent pas moins les dernières grandes figures de mode dans le tennis, flanqués de la reine Serena. Si l’on garde à l’esprit que ces trois-là compilent 61 titres de Grands Chelems, la conclusion semble s’imposer : au tennis, la mode est aussi (surtout ?) affaire de succès.